- L’a encore le Boy qui se cueille des orteils, le dos tout plat vers le ciel
- Un jour quelqu’un va s’y assoir ou Dieu y posera ses pieds, le soir, pour se reposer
- Y sentirait rien, il est trop concentré
Y faut qu’il en ramasse 7, ou 8, pour remplacer les autres qu’il perdu depuis la dernière fois
Pis vas, toi, trouver une dizaine d’orteils en bonne santé, sans cors ni verrues, ni ongles incarnés
- Par les temps qui courent faut pas être trop exigeant
- Vrai, ils courent vite Les salauds et les estropiés de la Vie comme nous, z’ont pas d’espoir de les rattraper.
- Encore heureux, la course c’est au 1er qui va exploser Moi j’serai l’premier à applaudir, le premier à siffler Mais aller au devant du désastre, me jeter dans la gueule béante du loup, ça jamais
- Plutôt crever maintenant j’ai déjà fait assez d’efforts comme ça, j’vais pas en plus rattraper le temps perdu – M’essouffler souffrir et le laisser me bouffer et claquer tout d’un coup
- Mais si on se dépêchait, rien qu’un peu, assez pour les voir de loin, on pourrait apercevoir la Grande Explosion !
- A quoi bon ? Quand ça explose, le napalm le nucléaire ou le temps ça emporte toujours une jambe ou un bras, parfois une tête si t’as fourré ton nez là où il fallait pas
Au moins ici on est tranquille dans le ghetto de l’existence sur la dépouille d’une très vieille guerre
(Il se baisse, ramasse un coquillage)
On est les charognards de la Vie
(Il gobe le coquillage et déglutit)
- Alors ?
- Pas de chance, c’était une très vieille dame aigrie avec des souvenirs carbonisés – Elle a du crever pas très loin très fripée abimée
- A-t-elle du Savoir ?
- Un peu, mais pas beaucoup. Très orientés – rebouteuse la mémé.
- J’vais aller voir si y’en a d’autres à manger dans le coin, ça se fait rare les souvenirs du Savoir
Faut dire aussi que les gens meurent plus vite que le Temps
Et avec cette course qui accélère, ‘font presque plus d’enfants
- Presque plus de rêves
- Presque plus d’Histoire
- Bientôt ils n’auront plus d’yeux pour voir ni d’oreilles pour entendre encore moins de bras pour se soutenir, juste des jambes pour courir un bon coup en espérant être le premier
- A se casser la gueule
A tomber de la falaise
- Mes jambes à moi c’est pour leur donner des coups de pieds
- Et les faire trébucher
- Avant, on les suivait, juste pour rigoler, pour se moquer d’eux, s’arrêter et les regarder passer
- Avant, ils s’arrêtaient parfois un peu – juste le temps d’une clope et d’une poignée de main – Mais c’était beau quand même
- Mais c’était tout quand même Ils repartaient, en laissant tomber leur passé leurs souvenirs
- Et nous on les ramassait
- On les ramasse toujours
- Ils ne sont plus aussi bons – Et faut encore qu’on ai de la chance pour en trouver un, même rabougri
- Qu’est ce qu’ils font de leur tête, pour pas comprendre, comme nous on l'a fait, que se promener dans la Vie c’est très bien aussi ? Qu’est ce qu’ils font de leur tête, pour qu’elle soit aussi vide ?
- Elle doit servir au monde de balancier
- C’est peut-être une cible pour abattre plus facilement le premier qu’a gagné
Et celui d’après aussi, et celui d’après aussi
- Une cible avec une expression de bêtise incurable pour faire marrer le jury
(Il s’accroupit, creuse la terre avec trois doigts, attrape un orteil relativement correct)
Tiens Boy racommode-toi
- EH MERCI L’HOMME !
(« L’Homme » hoche la tête et s’allonge sur le sol)
- Tu vas faire la sieste sur ces cadavres d’idées piétinées ?
- Pourquoi pas. C’est un bon terreau pour mes rêves
- Monstres hidéolistement difformes ?
Rêves-enfants abandonnés ?
Entêtement décapité ?
Je suis trop vieux pour ces choses là.
Je vais m’assoir sur le Boy ou y poser les pieds
Pour dormir
Ravive-moi quand tu veux repartir.
